Le 26 janvier 1782, Thérèse POYNOT, âgée de 22 ans, fille de Pierre POYNOT et de Marie SAUDAX, accouche d’un garçon. Comme il est d’usage à Vassincourt, et malgré les rigueurs de l’hiver, le nouveau-né est baptisé le jour même par Claude VAILLIER, le curé de la paroisse. Tout ceci est très banal, mais ce qui l’est moins, c’est que ce bambin entre dans la vie en recevant le prénom, pour le moins insolite et surprenant, de Polycarpe.
D’après la tradition, Polycarpe de Smyrne aurait été un disciple de l’apôtre Jean. Né vers 70 ap. J.-C., il est recueilli par une riche chrétienne puis mène une vie chaste tout en améliorant ses connaissances des écritures. Après avoir été prêtre, il devient le second évêque de Smyrne, actuellement Izmir en Turquie. Sur la fin de sa vie, lorsqu’éclate une persécution des chrétiens, initiée par l’empereur Marc Aurèle, il s’oppose au proconsul, ce qui lui vaut de mourir en martyr, brulé vif, à une date, qui fait débat, mais qui serait située entre 155 et 167 ap. J.-C.
Polycarpe est un prénom inusité à Vassincourt et il ne se rencontre que très épisodiquement dans le nord de la France. Alors, pourquoi Polycarpe ? Qui a bien pu prendre cette étonnante décision de doter cet enfant d’un tel prénom ? L’acte de baptême nous donne quelques éléments de compréhension. En voici une transcription :
« Policarpe fils naturel de Therese Poynot vigneronne paroissienne de Vassincourt
est né le vingt sixième jour du mois de janvier de l’année mil sept cent quatre
vingt deux et a été baptisé le meme jour : il a eu pour parrain Pierre Poynot
le jeune et pour marraine Françoise Arragon demeurant à Vassincourt
le parrain a signé avec moi la maraine a déclaré ne savoir. signer
Pierre Poinot. C Vaillier Prieur Curé de Vassincourt »
Le premier élément, à prendre en compte, est le jour de la naissance : le 26 janvier. D’après l’almanach du département de la Meuse de 1792, c’est ce jour-là que l’on fête Saint-Polycarpe. Certains ouvrages nous indiquent que l’on fête aussi d’autres saints le 26 janvier : Ste-Paule, pour l’almanach royal de 1782 ou encore St-Sigisbert pour l’almanach de Lorraine et du Barrois de 1783. Alors si l’on comprend mieux d’où vient le prénom Polycarpe, on ne s’explique pas encore complétement le « pourquoi », d’autant que l’enfant a un parrain Pierre POYNOT, le frère aîné de Thérèse, oncle de l’enfant et qu’à cette époque, il était d’usage de donner au baptisé, le prénom de son parrain. Alors la question qui devient majeure, c’est moins le « pourquoi » que le « qui » … Qui a bien pu décider de ce choix étonnant ?
C’est peut-être dans les premiers mots de l’acte de baptême que se trouve l’explication : le nouveau-né est un enfant naturel. L’enfant n’a pas de père identifié et la mère fatiguée par l’accouchement n’a certainement pas assisté au baptême qui a eu lieu le même jour. Par ailleurs, Thérèse POYNOT a déclaré ne pas savoir signer lors de son mariage trois ans plus tard, ce qui tend à laisser penser qu’elle ne savait ni lire ni écrire, de plus les enfants qu’elle a eus par la suite, ont tous porté des prénoms des plus classiques : Charles, Thérèse, Marie… Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer que la mère ait eu connaissance de Saint-Polycarpe et ait décidé du prénom de son enfant.
Au XVIIIème siècle, avoir un enfant en dehors du sacrement du mariage était inconcevable aux yeux de l’Église. Pour Claude Vaillier, le curé de Vassincourt, Thérèse POYNOT a commis une faute impardonnable. Il est cependant contraint de baptiser le nouveau-né. Au sein du village nul n’est mieux qualifié que lui pour connaître le calendrier des saints, alors, comment ne pas imaginer qu’il ait proposé lui-même le prénom de l’enfant en l’absence de la mère et en ignorant le parrain Pierre POYNOT.
Le curé de Vassincourt aurait-il voulu punir cette paroissienne irrespectueuse des lois de la religion catholique ? Cela reste une hypothèse mais, ce qui est sûr, c’est que le pauvre Polycarpe, ne survécu que 2 jours pour décéder le 28 janvier 1782 comme en atteste son acte de sépulture en date du 28 janvier 1782 dont voici la transcription :
« Lan mil sept cent quatre vingt deux le vingt huitieme jour du mois de janvier
est decede en cette paroisse, Policarpe fils naturel de Thérèse Poynot agé
de deux jours : son corps a été inhumé le lendemain dans le cimetière de cette
paroisse à la gauche de l’église avec les cérémonies accoutumées en présence
de Pierre Poynot ayeul du défunt de Jean Poynot et Pierre Poynot le
jeune qui ont signé avec moi … »
Notes :
Les transcriptions proposées dans les articles respectent l’orthographe et la syntaxe des documents originaux.
Sources :
– Archives Départementales de la Meuse – Registre de la paroisse de Vassincourt 2 E 544 (1)
– Wikipédia : « Polycarpe de Smyrne »
– gallica.fr / BnF – Almanach Royal de 1782
– Archives Départementales de la Meuse – Almanach de Lorraine et du Barrois de 1783
– Archives Départementales de la Meuse – Almanach du Département de la Meuse de 1792